Résumé : Fazil, le jeune narrateur de ce livre, part faire des études de lettres loin de chez lui. Devenu boursier après le décès de son père, il loue une chambre dans une modeste pension, un lieu fané où se côtoient des êtres inoubliables à la gravité poétique, qui tentent de passer entre les mailles du filet d’une ville habitée de présences menaçantes.
Au quotidien, Fazil gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision, et c’est en ces lieux de fictions qu’il remarque une femme voluptueuse, vif- argent, qui pourrait être sa mère. Parenthèse exaltante, Fazil tombe éperdument amoureux de cette Madame Hayat qui l’entraîne comme au-delà de lui-même. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de la jeune Sila. Double bonheur, double initiation, double regard sur la magie d’une vie.
L’analyse tout en finesse du sentiment amoureux trouve en ce livre de singuliers échos. Le personnage de Madame Flayat, solaire, et celui de Fazil, plus littéraire, plus engagé, convoquent les subtiles métaphores d’une aspiration à la liberté absolue dans un pays qui se referme autour d’eux sans jamais les atteindre.
Pour celui qui se souvient que ce livre a été écrit en prison, l’émotion est profonde.
Mon avis : Premier coup
de Coeur de cette année 2022, Madame Hayat est une petite pépite qui captive le
lecteur dès les premières pages.
On fait la connaissance de Fazil, étudiant en littérature et désargenté à la
suite du décès de son père. Pour joindre les deux bouts, il travaille comme
figurant pour une émission de télé. Et c’est là qu’il fait la rencontre de
Madame Hayat. Elle est tellement différente de lui, cinquantenaire épicurienne,
sensuelle, riche et qui ne s’intéresse qu’aux documentaires animaliers diffusés
à la télévision. Pourtant, ils vont former un couple qui se complète
merveilleusement bien. Leur histoire est belle mais on préssent qu’elle ne
pourra pas durer bien longtemps. En parallèle, Fazil rencontre Sila, son double
féminin. Elle aussi est pauvre suite a un revers de médaille de son père. Elle
aussi étudie la littérature, est érudite et s’attache à Fazil.
Le roman est
puissant car la tension monte progressivement : entre les personnages,
bien sûr, mais surtout c’est le climat de terreur qui s’installe dans le pays.
De plus en plus de personnes sont emprisonnées tout autour de Fazil et plus
personne ne se fait confiance. Cette tension est accentuée encore plus par le
vécue de l’auteur qui a rédigé ce roman dans une prison. Il nous montre les
difficultés des jeunes en Turquie qui perdent leur emplois, espoirs, avenir a
cause de la répression.
J’ai adoré les
personnages et comment l’auteur les avaient décrits. J’ai en effet, trouvé les
personnages féminins très forts, déterminés dans leur choix, qui prennent les commandes.
A l’inverse, Fazil est indécis, n’arrive pas à prendre des décisions.
C’est un roman initiatique magnifiquement écrit, une ode a la liberté qui a du
permettre a l’auteur de s’évader mentalement de l’univers carcéral. Un trio
amoureux superbement décrit et une fin qui m’a rendu heureuse.
Extraits :
La vie ne sert à rien d'autre qu'à être vécue. La stupidité, c'est d'économiser sur l'existence, en repoussant les plaisirs au lendemain, comme les avares. Car la vie ne s'économise... Si tu ne la dépenses pas, elle le fera d'elle-même, et elle s'épuisera.
Mais on n’apprend pas grand-chose sur l’existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c’est le malheur qui nous enseigne la vie.
- Et si demain vous aviez besoin de cet argent ?
- Et si demain je n'avais pas besoin de cet argent ?
- Vous seriez quand même plus tranquille...
- Et si être heureuse m'intéresse plus que d'être tranquille...
J’étais persuadé de la désirer telle qu’elle était, ni plus jeune ni plus belle. Je me souvenais de la phrase de Proust : Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination.