Résumé :
Les tribulations épiques d'Octavio, un paysan analphabète vénézuélien qui va se réapproprier son passé et celui de son pays, grâce à Alberto Perezzo, un médecin de village, et surtout grâce à la belle Venezuela, qui va lui apprendre à écrire. Mais le destin voudra qu'il soit enrôlé par la bande de brigands "chevaleresques" du charismatique Guerrero, qui organisera un cambriolage précisément au domicile de sa bien-aimée Venezuela....
Mon avis :
Le voyage d'Octavio est pour moi un vrai coup de cœur qui m'a transporté au Venezuela. "Dans le port de La Guaira, le 20 aout 1908, un bateau en provenance de La Trinidad jeta l'ancre sur les cotes vénézuéliennes sans soupçonner qu'il y jetait aussi une peste qui devait mettre un demi-siècle a quitter le pays."
On fait la connaissance d'Octavio, illettré qui se débrouille tant bien que mal dans sa vie de tous les jours. "Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour. C'est une religion qui n'exige pas d'aveu."
Jusqu'au jour ou il rencontre Venezuela, une femme qui va lui apprendre a lire et a écrire. Cette rencontre va changer sa vie. "Un matin,il se surprit de voir que "mujer" s'écrivait aussi simplement.
- J'aurais pensé que pour un personnage aussi considérable,y avait un mot plus difficile,s'était-il exclamé." Malheureusement, cette période heureuse avec Venezuela, ne sera que de courte durée car il se retrouve embarqué dans un gang de cambrioleurs et se fait démasquer par la femme. Il prend donc la route, a travers son pays, fais de multiples rencontres.
J'ai découvert un petit pays, dont on parle peu, mais plein de légendes et de croyances :
"Parmi ces maisons, à la robe d’une montagne, il y avait celle d’un créole qui avait planté contre sa haie un citronnier robuste, aussi vieux que lui, dont les fruits se mêlaient au gui du feuillage. La procession s’était approchée. Le Créole était sorti avec un fusil à verrou et une grappe de cartouches sous l’aisselle.
- Je tue le premier qui franchit la haie, avait-il crié depuis la rambarde. Et je commencerai par celui que vous promenez. Nous allons voir si les saints ne meurent pas.
Les porteurs firent demi-tour sans discuter. Mais à l’instant de repartir, la couronne d’épines resta accrochée à l’une des branches de l’arbre. Le créole épaula l’arme et, au milieu d’une injure, tira une seule balle dont l’éclat résonna longtemps dans la montagne. La balle sépara la statue de la branche, secoua le feuillage et fit tomber sur les têtes, comme un pluie de bubons verts, des centaines de citrons qui roulèrent jusqu’aux portails des cabanes.
On crut au miracle. On utilisa la pulpe jaunie pour les infections, on fit sécher les zestes qu’on saupoudra sur les poissons et on purifia l’air avec l’acidité des huiles. On mélangea le citron au gingembre dans es marmites et on les fit passer, porte après porte, à toutes les alcôves, avec un secours que deux mille ans de médecine n’avaient su offrir. En dix mois, on fit reculer dix ans de peste.
Voilà l’histoire du citronnier du Seigneur telle qu’on la trouve à peu près sous la plume du poète Andrés Eloy Blanco, dans les livres de mon pays."
Comme dans de nombreux romans sud-américains, il y a un petit coté magique. L'auteur sait nous captiver et décrit son pays a merveille. C'est un récit a la fois drôle et touchant :
"Les gens prirent l'habitude de mesurer l'importance d'une maison au nombre de ses fenêtres. On écrivait le nom des rues sur des plaques en bois portant les noms de ceux qui les habitaient. La rue de l'hôpital était celle de l'hôpital, la rue des Sœurs celle du couvent, dans la rue Doctor-Dominguez habitait le vénérable docteur Dominguez, et dans la rue des Cornards, qui ne touchait en rien a l’honnêteté des dames, se trouvait l’abattoir ou l'on déchargeait les cornes du bétail."
Ce roman est a la fois une fiction mais aussi un excellent documentaire qui nous montre le vrai visage du Venezuela ou la majorité de la population s'entasse dans des bidonvilles :
"Des écrivains publics faisaient payer une fortune les lettres d'amour, les vieux comptaient les mois en grains de mais et les marchands racontaient aux enfants des légendes pour les éloigner de la nuit. C'était un époque simple et craintive. Le village n'était alors menacé que de superstitions et de croyances populaires [...].
Avec le temps, touffu et foisonnant, le flanc de la colline se gonfla de baraques et de blocs, la vie ne cessant d'apparaître. Année après année, il se chaussa de pierres et se peupla d'hommes qui fuyaient la misère des grandes villes. Ils montaient jusqu'au sommet de la colline, trouvaient une friche loin des autres et y dressaient une maison de tôle ondulée. Avec l'expansion des quartiers, on dut organiser des élections démocratiques désignant des présidents et un conseil. Le marché noir fit concurrence aux anciens commerces, tandis que l'ombre des platanes abritait des femmes auxquelles, tantôt l'alcool, tantôt les malheurs, avaient volé un époux.
Les vieilles légendes poussaient les enfants hors des maisons. Beaucoup se retrouvaient aujourd'hui dans la contrebande, souvent par crainte d'être exclus, ou parce qu'il était plus dangereux parfois de ne pas y entre. Les nuits étaient agitées, révoltées, elles s'encombraient souvent d'un crime, au détour d'une ruelle. Les jeunes filles subissaient des grossesses précoces et avortaient avec des cuillères qu'on faisait bouillir dans des casseroles. C'était une carte de la colère."
Vous l'aurez compris, c'est un roman magnifique, superbement écrit que je vous recommande fortement.
Lu dans le cadre du challenge :
- Le tour du monde en huit ans : Venezuela
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